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Webinaire : Retour sur la journée nationale du Thon Rouge

Compte-Rendu par Léa Bonniec

La journée nationale du thon rouge

Mardi 26 mai se tenait la journée nationale du thon rouge, initiée par l'Association Pleine Mer, qui prône une transition vers une pêche durable, en mettant en avant la pêche artisanale. Cette journée organisée en concertation avec plusieurs collectifs de pêche artisanale comme la Plateforme Petite Pêche ou encore Low Impact Fishers of Europe, avait pour objectif de dénoncer la répartition des quotas de pêche au thon rouge.

Webinaire : Thon rouge, haussons le thon

L’occasion était ainsi donnée à Caroline Roose, député européenne et membre du groupe des Verts-ALE, d’organiser son deuxième webinaire, ayant pour sujet la pêche au thon rouge et plus particulièrement la répartition de ses quotas. A ses côtés, Antonia Leroy, docteure en droit international et responsable des politiques en matière de pêche illégale au bureau Europe du WWF, Pierre Morera, pêcheur et président du CDPMEM du Var (Comité Départemental des Pêches Maritimes et des Elevages Marins) et Jean-Marc Fromentin, chercheur en écologie halieutique à l’IFREMER et coordinateur pendant plusieurs années du groupe de travail à l’ICCAT (acronyme anglais, Commission internationale pour la conservation des thonidés de l'Atlantique en français) sur le sujet du thon rouge.

« Nous ne sommes pas sûrs que le stock soit reconstitué »

Selon Jean-Marc Fromentin, la ressource du thon rouge se porte beaucoup mieux depuis quelques années. Au milieu des années 2000, le stock était au bord de l’effondrement, mais il a pu se reconstruire grâce à la diminution de la surpêche et de la pêche illégale, dorénavant beaucoup plus contrôlée. Le plan de gestion de l’ICCAT de 2007 a permis de diviser l’effort de pêche par 5, de faire revenir le thon à la côte et d’augmenter le quota à 36 000 tonnes. Mais, selon Jean-Marc Fromentin, il faut rester prudent. Le modèle considéré par l’ICCAT comprend beaucoup d’incertitudes non prises en compte concernant la reconstitution du stock. L’approche de précaution est donc recommandée par les scientifiques, mais dorénavant la question est purement politique. Une autre chose inquiète Antonia Leroy : la traçabilité et le contrôle des pêcheries, très hétérogènes selon les pays européens. Les senneurs sont bien plus contrôlés que les petits métiers et la pêche de plaisance qui manque de transparence n’est, à tort, pas inclue dans la répartition des quotas. Pourtant, c’est aussi celle-là, en pêchant le thon rouge illégalement, qui fait du mal à la ressource. « Ce n’est pas la majorité des plaisanciers mais ce n’est pas négligeable » indique Pierre Morera. Certes, la pêche illégale a diminué, mais on observe un changement dans les pratiques, avec l’augmentation des sous-déclarations de pêche. Selon Jean-Marc Fromentin, « maintenant que l’étau se desserre, les mauvaises pratiques vont avoir tendance à repartir ».

Côté science, les enjeux sont énormes. Il faut être en capacité d’évaluer les stocks, mais les modèles créés à partir des captures seules comportent beaucoup d’incertitudes. La recherche a cependant beaucoup avancé ces dernières années grâce au marquage électronique, qui permet de suivre un individu tout au long de sa vie, mais cette technique coûte très cher. L’occasion pour les acteurs de ce webinaire d’aborder la question du « No Kill », technique qui consiste à pêcher le poisson puis à le relâcher vivant, utilisée en loisir comme à but scientifique pour la pose de balise. « Un scandale vivant » selon Pierre Morera, car le thon est un poisson « cardiaque ».

« Ecologiquement, on n’est pas dans le bon »

Il est difficile d’évaluer l’impact des différentes techniques de pêche sur la biodiversité. Selon Antonia Leroy, il faut prendre en compte la chaîne de valeurs, pas seulement les prises accessoires ou les quantités de poissons pêchées. Les thoniers senneurs sont plus sélectifs et les prises accessoires sont moindres qu’avec la pêche artisanale, mais Pierre Morera de souligner qu’ils pêchent à la fois jeunes, mâles et femelles reproductrices. « C’est une boucherie, on éradique un village entier » insiste-il. De plus, les poissons pêchés industriellement finissent souvent dans des fermes aquacoles, de manière à les engraisser avec du petit pélagique, pour être vendus à l’autre bout du monde, à 80% en Asie.

« Quand on est senneurs, on fait à peu près ce qu’on veut »

Sur les 6026 tonnes de thon rouge que la France est autorisée à pêcher, 4781 sont allouées à la pêche industrielle. C’est ce constat qui fait hausser le ton aux pêcheurs artisans non seulement français mais européens et qui justifie cette journée du thon rouge. Le principe d’antériorité, qui consiste à dire « plus vous avez tué de poissons avant, plus vous en tuerez après » selon les mots de Pierre Morera, pose question sur la répartition équitable de la ressource. L’acquisition des AEP (Autorisations Européennes de Pêche) par le rachat puis la revente de bateaux est autorisée. « Quand on est senneurs, on fait à peu près ce qu’on veut ». Un recours déposé il y a plus de trois ans par la Plateforme Petite Pêche pour assouplir les quotas des pêcheurs artisans reste depuis sans réponse, ce qui pousse Pierre Morera et plusieurs de ces confrères à se demander s’il n’existe pas un lobbying au niveau de l’Etat. Un amendement a d’ailleurs été déposé dans ce sens par Caroline Roose ce mardi au Parlement Européen, pour que 10% du quotas soit redistribué.

« Le Covid est la sonnette d’alarme de la nature » conclu Pierre Morera. Il est temps de changer nos relations avec le vivant, privilégier les circuits courts et développer la culture du thon en France. En attendant des mesures politiques efficaces et équitables, un changement dans les pratiques des consommateurs serait ainsi un début de réponse au problème de la surpêche.