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5. Quelle place pour les requins dans la finance ?

La prise en compte de la biodiversité par les marchés est loin d’être une réalité alors que cela représente un levier puissant de protection et un risque réel pour les marchés eux-mêmes. « La biodiversité n’est pas dans le radar de la finance ». Martelé par trois fois par Hugo Bluet du WWF, cet aphorisme dénonce un retard de la finance, habituellement très habile pour transformer les informations en signaux à prendre en compte pour les placements. Oui, il y a un risque réel en finance : la perte d’une fonction dans un écosystème peut être soudaine. Par exemple, une cascade trophique dérèglée peut aboutir à la prolifération d’une algue qui empêchera le tourisme sur toutes les plages d’une île pendant une saison. Cela est prévisible mais pas pris en compte. Dans un article récent, le CNRS va jusqu’à imputer la crise du coronavirus à la perte des barrières naturelles qui existent entre les espèces : des espèces qui n’ont aucune interaction trophique dans la nature se retrouvent sur le même marché -alimentaire cette fois-ci - et se dévorent les unes les autres, mortes ou vivantes, se transmettant un virus de manière improbable. Qu’il s’agisse de chauves-souris ou de pangolins, comment ces espèces sont-elles amenées à cohabiter si ce n’est en conséquence de la perte de leurs propres habitats et de leur nourriture habituelle qui les poussent à se retrouver… en ville ?

La finance se trouve à la fois en amont et en aval de cette chaîne infernale. En amont car elle permet une bio-désertification déraisonnée dont aucun chef d’entreprise ne prendrait seul la responsabilité. Les motifs sont financiers : immobilier, minerais, papier… En aval, d’autres secteurs subissent de plein fouet la perte de touristes ou une chute des cours généralisée comme c’est le cas actuellement. Mais ces risques ont paru jusqu’ici trop éloignés de tel ou tel investissement pour qu’une conséquence financière en soit tirée. Pour le climat pourtant, un véritable effort est à l’œuvre : la « décarbonation » des investissements semble devenir une réalité. Cela est possible car on peut mesurer l’impact de chaque entreprise ce qui est beaucoup plus difficile pour la biodiversité. Des indicateurs à construire doivent permettre cet effort dans une hypothèse de survie des marchés. De manière générale, les fonds d’investissements proposent des bouquets d’actions durables ou éthiques. Il existe donc des placements qui ne sont ni durables ni éthiques. Une question plus profonde apparaît : Peut-on placer un argent destructeur ? Comment qualifier le caractère éthique, durable ou destructeur de telle ou telle action ?

Les scientifiques qui peuvent se sentir loin de ces problématiques ont pourtant un rôle primordial : ils sont responsables d’une transmission de l’information interprétable par les marchés. Ils doivent fournir un travail solide aboutissant à des incertitudes faibles pour déclencher des actions tangibles.